Préface :
Mes premières rencontres avec le petit prince des bois remontent à ma plus tendre enfance, dans les contreforts des alpes dinariques. Zone de moyenne montagne, au biotope propice à l’épanouissement de Capreolus capreolus. Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours vu sa gracieuse silhouette sillonnée le verger qui surplombait la petite maison de montagne gardienne de mes souvenirs. Isolé et avec très peu de pression de chasse, notre hameau était visité quasi quotidiennement par le petit prince, ce qui a ancré en moi une certaine « proximité » avec lui. Rare sont les gibiers qui permettent ce type d’interactions et pour ceux qui prennent le temps de le comprendre, Capreolus, vous invite littéralement par sa façon de vivre à pénétrer son monde.
De par ce passé et mon mode de chasse, qui impose de facto d’approcher le plus près possible, je dirais que j’ai développé un sixième sens. Vous savez, ce sens qui vous dit « si j’étais brocard, j’aimerai bien cet endroit ». C’est avec cet appendice sensoriel bien pratique mais pas infaillible en poche que je sillonne dès que je le peux l’habitat de mon compagnon de jeux, mon arc à la main.
Pour moi, la chasse d’été du Brocard est comparable sur bien des aspects à la pêche de la truite au printemps. Vous pouvez « peigner » l’eau avec une cuillère ou un leurre pendant des heures et ramasser tous les poissons qui croisent votre ligne…ou bien passer du temps à observer les remous et le dessous des souches immergées…et découvrir qu’une belle fario a élu domicile dans cette zone calme derrière ce gros rocher. Malgré votre technique imparfaite, la zone en question vous semble atteignable. Vous l’observez depuis un bon moment et arrive cet instant magique où vous décidez de lancer, la soie plane au-dessus de l’eau et votre mouche se pose tout en délicatesse exactement à l’endroit espéré, la suite vous pouvez l’imaginer aisément.
De la même façon, vous pouvez courir les clairières et jumeler inlassablement la lande et, dès que vous repérez une paire de bois qui dépassent des hautes herbes, foudroyer le petit prince d’une balle ou une flèche savamment placée. Mettre son trophée sur votre mur avec tous les autres et attendre le prochain. Ou bien vous pouvez chasser ce moment magique où vous allez créer la proximité avec lui. Les histoires que vous aurez à raconter n’auront à coup sûr pas la même saveur, même si vous n’accrochez rien sur votre mur.
Je me rappelle d’un petit matin de printemps, je louvoyais à pas de velours sur le bas-côté du grand chemin blanc, si caractéristique des belles forêts feuillues de Haute Marne. Évidemment je n’étais pas là par hasard. Cela faisait déjà quelques semaines que j’observais un animal exceptionnel au bord de ce chemin. Toujours furtif, jamais où je l’attendais précisément mais toujours peu ou prou dans ce même sous- bois. Quand je dis exceptionnel, je parle du brocard d’une vie, tant par la taille du trophée que par la corpulence et l’allure, ce beau 6 très épais et perlé était une vraie énigme. Michel mon hôte le connaissait aussi et m’avait expliqué que ce brocard disparaissait littéralement pendant la saison de battue et réapparaissait au printemps. Il ne m’en fallait pas plus pour me focaliser sur ce fantôme.
Une petite pluie fine m’aidait à masquer le bruit de mes pas, que je tentais de rendre les plus silencieux possible en posant d’abord l’extérieur du talon au sol et dépliant le reste de mon pied toujours de l’extérieur vers l’intérieur. La poire à talc accrochée à la ceinture, je vérifiais le vent tous les dix pas en prenant soin de faire plus de temps de pose que de temps de mouvement (les indiens d’Amérique disaient des chasseurs blancs : « l’homme blanc marche trop à la chasse »). J’étais à bon vent, lent et silencieux…dans cet ordre-là d’importance, bref c’était parfait. Je me sentais invisible de la nature et il faut croire que je n’étais pas loin de la vérité en me disant cela.
En effet tout était plus que paisible et en une fraction de seconde tout s’est compliqué. D’un bon, sorti du fossé et littéralement de nulle part, le brocard tant convoité se planta devant moi ! et quand je vous dis ça ce n’est pas une phrase toute faite, j’aurais pu l’attraper à la main si j’en avais eu l’idée ! Inutile de vous dire que je ressemblais plus à cet instant à un moai de l’île de pâques qu’à un chasseur à l’approche. Tous ceux qui l’ont vécu savent à quel point ces instants sont longs et physiquement épuisants. Après quelques minutes d’immobilisme total pendant que mon compagnon de jeux basculait la tête de droite à gauche, comme peut le faire un chien qui cherche à vous comprendre…il s’est rendu compte de son manque de prudence et que je n’étais pas un buisson qui bouge. Il débuta alors une marche arrière…mais pas dans la précipitation, loin de là ! Délicatement, un pas après l’autre, il progressait en marche arrière vers le côté opposé du chemin blanc, tout en continuant à me fixer droit dans les yeux. Il avait clairement dans l’idée de rejoindre la lisière du bois tout en me fixant. Ce brocard m’a littéralement hypnotisé, je ne pouvais pas bouger et je n’étais pas assez rapide pour lever et armer mon arc avant qu’il ne disparaisse. Il avait le contrôle de la situation et ne m’a laissé aucune chance de prendre le dessus. Il a tranquillement fait sa marche arrière, comme un danseur étoile, jusqu’au premier sapin et en un éclair s’est engouffré et a disparu dans le couvert épais du taillis sous futaie.
J’étais planté là, me sentant idiot sur le moment et puis finalement j’ai esquissé un sourire, enlever ma cagoule de camouflage et je me suis assis sur le bas-côté du grand chemin blanc, toujours aussi calme mais avec un sentiment de plaisir étrange qui me faisait savourer ce que je venais de vivre…j’ai chassé ce brocard, nous avons fait connaissance et il est sorti vainqueur haut la main de notre rencontre…bravo l’ami et j’espère à la prochaine.
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de grandir à proximité de Capreolus Capreolus, il vous faut acquérir un minimum de connaissances avant de vous lancer au 1er juin prochain à sa rencontre et espérer chasser un moment de proximité avec le petit prince des bois. Sans ce minimum de bagages, la frustration pour certains, la lassitude pour d’autres, risque d’être vos compagnes pendant de longues saisons et finiront même par vous détourner de cette fabuleuse quête. Profitez de toute l’expérience de Messire Lafutaie sur le sujet et faites de ce guide votre missel pendant les soirées qui précèdent l’ouverture, emmenez-le dans votre sac en loden ou en cuir et replongez-vous dedans quand la frustration vous gagne. Mon dernier conseil : « gardez toujours à l’esprit qu’à la chasse à l’approche, comme dans la vie, c’est le voyage qui compte et beaucoup moins l’arrivée » !
Risti. Président de cocagne.fr